feat. Jayden & Aurora

Jeux de l’amour et du hasard

Nichée dans l’écrin de Mayfair Street, la jolie boutique étincelait. En vitrine s’amoncelaient les fioles de cristal, les petits pots aux délicates teintes pastels, les tubes rutilants, tous disposés avec une élégance savamment calculée. Les passants rivaient leurs regards sur les couleurs tapageuses, leurs yeux arrimés aux jolis noms commerciaux inscrits en lettres dorés. Et soudain les anonymes qui défilaient sous la grisaille de Londres devenaient acheteurs potentiels, certains se décidant à passer le seuil de la boutique, d’autres se contentant de tourner les talons, avec pourtant au creux de l’âme le germe du désir qu’Aurora insufflait à ses créations.

Les temps étaient calmes, pourtant. Il s’agissait de cette période creuse avant Noël, ce vide de pluie et de grisaille qui désertait les rues et incitait à l’économie avant la débauche des fêtes de fin d’année. Accalmie ordinaire, rien d’affolant en somme, et la patronne en profitait pour remettre de l’ordre dans ses inventaires, et s’attelait à la création d’une fragrance dont elle avait le secret ou de l’un de ces petits baumes miracles pour les cheveux ou la peau que les femmes pourraient s’arracher sous le sapin.

Aurora gratifia d’un sourire éclatant la jeune Emma qui venait de lui proposer un café, et qui, de fait, lui apportait la tasse de cappuccino fumant au comptoir, à laquelle la patronne ajouta les deux carrés de sucre brun qui gisaient sur la soucoupe. D’un geste machinal, la servante d’Aphrodite mélangeait les deux petits cubes instantanément fondus, bavassant d’un air distrait et enthousiaste avec la jeune recrue aux boucles blondes qui sirotait doucement son thé vert encore chaud.

D’un geste prudent, Aurora posa ses lèvres écarlates sur la tasse de porcelaine blanche, en souillant la pureté immaculée de la trace cramoisie de son rouge à lèvres coutumier. Le liquide brun et abondamment sucré vint régaler son palais et adoucir sa gorge, à l’instant précis ou la petite clochette de la porte tintait, accueillant un des rares clients de la matinée froide et grise encore peu avancée.

Il s’agissait d’un homme. Jeune, aux cheveux d’or, blonds et souples, qui retombaient au creux de son cou grâcile. Malgré sa petite taille, il était ravissant. Il arborait de grands yeux de ciel d’été. Et surtout il avait un sourire éclatant, de ces sourires qu’Aurora dégainait à la moindre occasion, sans même y penser, dans l’inconscience et l’insouciance de la seconde nature que sa déesse mère lui avait offert, en même temps que le pendentif de nacre et d’or en forme de coquillage qui pendait à sa gorge découverte.

Par un engouement qu’elle n’aurait su expliquer, elle ne confia pas ce client à la jeune Emma qui se trouvait là, disponible et tout près d’elle. Son pas léger s’avança avant même que la vendeuse n’ait pu amorcer cet accueil chaleureux que sa patronne lui avait inculqué. Abandonnant là sa tasse de cappuccino encore fumante, Aurora s’avança, laissant sur son sillage d’entêtants embruns de rose et de violette, accompagnée à chaque pas de la symphonie de ses bijoux qui clinquaient et de ses talons qui martelaient l’asphalte.

- Bonjour et bienvenue. Je peux peut-être vous aider ?

Sourire dévastateur, instinctif, comme une seconde nature, qu’elle offrait à tout le monde, semeuse des charmes d’Aphrodite qu’elle laissait retomber sur la tête des mortels en une pluie de poussière d’étoiles tombée de sa main grande ouverte. Il lui semblait pourtant qu’en matière de charme instinctif et inconscient, ce mortel aux yeux de ciel d’été n’était pas en reste.  

feat. Jayden & Aurora

Jeux de l’amour et du hasard

Si Aurora devait s’effaroucher du regard des hommes, il y’a bien longtemps qu’elle aurait rendu son tablier à Aphrodite. Non contente de provoquer ces œillades plus ou moins discrètes qui en gênait tant d’autres, elle se satisfaisait de les attiser par des fragrances, des coquetteries et des fards plus affriolants les uns que les autres. Et le nouveau venu ne semblait s’embarrasser d’aucune pudeur ou de réserve quelconque, dans le regard qu’il dardait sur elle. Cette franche audace eut pour don de faire sourire plus largement encore la vendeuse, sourire qui s’entrechoqua à celui du jeune homme, tout aussi éclatant que le sien. C’était véritablement charmant, cette audace spontanée, surtout lorsqu’elle s’accompagnait d’un aussi charmant sourire, et d’une myriade d’étoiles qui luisaient au creux de ses prunelles d’azur.

Et, en vantant les mérites de sa boutique avec brio, l’égo de la belle atteignit son paroxysme. Des séducteurs sans-gêne, rustres et malpolis, il y’en avait pléthore ; mais des ravissants et bien élevés comme celui-ci avaient la rareté pour eux. Aussi lorsqu’il évoqua lui-même et son amie très chère, ne se gêna-t-elle pas pour lui retourner le regard appréciateur auquel elle avait été elle-même soumise tout à l’heure :

- Vous m’en voyez flattée…Vous cherchez quelque chose en particulier ? Il est clair que vous prenez soin de vos cheveux. Vos boucles sont sublimes. Leur éclat aussi. Comment sont ceux de votre amie ? A-t-elle pour habitude de se parfumer ?

Aurora fit montre d’élégance, en ne s’attardant pas sur le statut de cette amie, qui semblait rendre perplexe le jeune homme. Ce ne serait certainement pas la servante de la déesse de l’Amour qui se permettrait le moindre jugement, qu’elle que fut sa relation avec la dite personne. La jeune femme avait à elle seule un lot d’amants et amantes qui en disait long sur sa manière de penser et vivre l’amour. Elle préféra s’attarda sur ses boucles d’or qui dansaient au creux de son cou lorsqu’il secouait la tête, semant sur son sillage le doux effluve de son parfum. Le compliment n’avait pas été que purement commercial. Le client était très beau, et sa cascade de cheveux d’or littéralement sublime.

L’invitation fusa avec cette charmante spontanéité qui semblait instinctive. Aurora eut un léger rire, et lui offrit un de ces sourires ravageurs qu’elle ne dégainait que lorsque l’interlocuteur en valait la peine :

- Avec grand plaisir. Vous pouvez vous installer par ici…D’un doigt à l’ongle écarlate, elle désigna un angle de la boutique, ou étaient élégamment disposés quelques fauteuils colorés et douillets, au milieu desquels trônait une petite table basse. Je m’occupe de votre café et vous y rejoins. Que prendrez-vous ? Un cappuccino, un latte, un macchiatto ?

Il avait les mêmes goûts qu’elle en matière de boisson chaude. Elle en était certaines. Nectars délicats, sophistiqués au lait, plein de sucre ou de caramel, bien loin de l’austérité du café noir dont beaucoup se satisfaisaient. Ne se déparant pas de son sourire éclatant, elle attendit un instant, le regard rivé sans honte vers le charmant client dont elle attendait la commande avec cette patience angélique de patronne commerciale.

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Jeux de l’amour et du hasard

Si le naturel trop audacieux d’Aurora tendait parfois à embarrasser, voire effaroucher, il était clair que le charmant jeune homme ne faisait pas partie de cette catégorie de timides qui baissait les yeux face à son regard scrutateur. Lui acquiesça au compliment capillaire, paraissant flatté mais pas réellement surpris, comme conscient de sa beauté et du soin qu’il apportait à sa personne. Aussi lorsqu’il évoqua le surf, Aurora eut un sourire appréciateur. C’est qu’elle avait vu juste, avec ce charmant accent qui traînait un peu, sa peau dorée, ses boucles lumineuses et l’oiseau tropical au plumage coloré, visiblement apprivoisé, qui trônait docilement sur son épaule. A coup sûr il n’était pas anglais, le pays ne se prêtant guère aux adeptes de ce sport. Et en réalité son corps était exquis, et il semblait ne le savoir que trop, l’exhibant tel un trophée avec une lenteur langoureuse, en s’asseyant au fond d’un des fauteuils aux couleurs criardes :

- Je ne peux que vous rejoindre à ce sujet. Le sport sublime notre corps et notre esprit.

Aurora s’adonnait plutôt à la danse, sport délicat qui se mariait à sa merveille à sa grâce naturelle. Avec un sourire charmeur et charmé, elle écouta avec délices les louanges dont le jeune homme abreuvait sa chanceuse compagne, la qualifiant presque d’immortelle, lui conférant un statut quasi divin, qui ne le rendait que plus séduisant. Aurora lui lança un regard mi-amusé mi-émerveillé, avant de lui répondre :

- Vous m’en voyez flattée. Je ne tâcherais de pas décevoir votre chanceuse amie. J’ai notamment en stock une petite lotion capillaire miracle qui a fait ma réputation, ainsi qu’un parfum extrêmement prisé pour son attrait et son pouvoir de séduction. Je me ferai un plaisir de vous les présenter une fois votre boisson servie.

Car Aurora était restée debout, prête à satisfaire le désir de son client, n’étant encore jamais parvenue à ne pas servir la boisson désirée. Le bel oiseau s’envola de son épaule, pour fureter sur la table basse, sous l’œil scrutateur de son maître. Et son sourire s’élargit à la demande peu commune. Monsieur avait bon goût. Et le délicieux compliment tinta à son oreille comme une mélopée divine, et son regard brillait lorsqu’elle acquiesça. Le jeune homme lui plaisait de plus en plus :

- Mais bien sûr que je sais faire les flat white. Je reviens dans un instant, si vous le voulez bien.

Aussi Aurora tourna-t-elle les talons, faisant voleter sa jupe autour de ses genoux, les talons de ses escarpins martelant l’asphalte. Quelques minutes plus tard elle revenait avec une tasse fumante, disposée sur un plateau au centre de quelques petites pâtisseries accompagnant la boisson veloutée. S’installant face à lui avec une grâce toute calculée, elle rabattit un pan de sa jupe rose pâle sur ses genoux, récupérant sa tasse au vol, y posant doucement les lèvres avant de revenir à la conversation ;

- Bien. Vous seriez donc intéressé par les deux produits que j’ai évoqués tout à l’heure ?

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Un Australien. Aurora aurait dû s’en douter. Ce teint hâlé sous ces cheveux d’or, l’exotisme de l’oiseau, l’extravagance de son plumage. Il n’aurait pu mentir, le bel éphèbe aux boucles blondes. Le surf lui allait si bien, que ce sport semblait avoir été inventé pour lui. De plus, l’Australie, ces paysages époustouflants et ses plages de sable blanc qui servait d’écrin terrestre à la divine Aphrodite, paraissait toute désignée pour accueillir de ravissantes créatures comme l’était le jeune homme.

Et une seconde, Aurora crût avoir rêvé. Une seconde, la distraite vendeuse étourdie avait cru avoir failli elle-même, en prononçant le nom qu’elle se gardait de révéler aux inconnus, aussi ravissants soient-ils. Mais non. La bourde ne venait définitivement pas d’elle. Pourtant c’est elle qui devait avoir l’air le plus idiot, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés sur le jeune homme :

- Aphro…Aphrodite ?

La Déesse de l’Amour. L’Australie. La beauté. Les manières enjôleuses. L’irrésistible charme ? Comment avait-elle pu ne pas s’en douter ? Un autre héros ? Aurora virevolta avec grâce, tournant un instant le dos à son client, autant dans le but de préparer sa boisson que pour reprendre un semblant de contenance. La bonne odeur de café chaud s’éleva dans l’atmosphère, Aurora y ajoutant délicatement la touche lactée nécessaire à la confection du flatwhite demandé. Elle eut un sourire enjôleur elle aussi, digne et pâle reflet de celui de la déesse matriarche, avant de lui tendre la boisson fumante et de déclarer non sans humilité :

- Il semblerait en tout cas que nous soyons amoureux des mêmes attraits. De la part d’un serviteur d’Aphrodite, cela ne m’étonne guère. Je suis ravie de rencontrer un « frère ». Je m’appelle Aurora.

La jeune femme eut un large sourire, un sourire qui en disait long, au parfum d’aveu sur sa nature véritable qu’elle semblait visiblement partager avec lui. Puis d’ajouter face aux compliments dont il l’inondait :

- Sans la nature divine de notre maîtresse à tous deux, mes produits ne seraient rien. Aussi permettez-moi de vous en faire cadeau, puisqu’ils sont destinés à son intention. C’est la moindre des choses.

Un nouveau sourire. La « gaffe » du jeune client était-elle si involontaire que cela ? Avait-il perçu cette flamme vacillante, éclatante, au fond de l’âme et des yeux d’Aurora, que les héros d’Aphrodite partageaient en secret ? Forgeaient-ils là les fondations d’une amitié naissante, sur fond de divinité de l’Amour partagée ?

feat. Jayden & Aurora

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La révélation était assourdissante. Il fallut quelques secondes au charmant jeune homme pour l’assimiler, et accuser le coup de ces deux enfants d’Aphrodite qui se rencontraient et se retrouvaient frappés par cette ressemble hors du commun qui les avaient attirés dès la première seconde. Aurora s’était installée, les plis de sa jupe tombant grâcieusement sur ses genoux tandis qu’elle trempait les lèvres dans le breuvage sucré qui affleurait de la tasse en porcelaine. Et lorsque son comparse retrouva l’usage de la parole, il n’avait rien perdu de ses talents d’orateur plein de louange et de séduction que lui accordait leur déesse matriarche. Aurora eut un large sourire, charmé et charmeur, l’écoutant se présenter et vanter les mérites et la beauté de son propre prénom, qui, selon ses dires, lui allait à ravir ;

- Et que dire du vôtre, qui semble prédisposé à servir la déesse de l’Amour. Je suis véritablement enchantée de vous rencontrer, Jayden.

Jayden croisa les jambes avec une grâce exquise, sans se déparer de ce sourire charmeur qui n’avait plus rien de surprenant, une fois connue la déesse mère qui prenait le splendide jeune homme sous son aile. Aurora eut un léger rire, gai et clair comme un son de cloche un matin d’hiver, lorsque son doux acolyte évoqua son peu de disposition à l’idée d’être envoyé en mission ;

- Je me dois de vous rassurer, je n’aime cela guère plus que vous. Il semblerait que nos talents soient ailleurs. Toutefois, je vous rejoins sur l’idée qu’en votre compagnie, elles pourraient devenir des plus plaisantes. D’autant que si vous vivez en Australie, il sera moins aisé de nous revoir en dehors de ce cadre.

Aurora eut une œillade amusée et charmeuse, appréciant déjà beaucoup trop la compagnie de son comparse qui était malheureusement issu de contrées si lointaines. Et si les missions pour lesquelles aucun des deux n’excellaient fournissaient une occasion pour se revoir, la jeune femme s’en enchanterait désormais.

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Le tutoiement était venu avec un naturel charmant. Sans une once de vulgarité ou de familiarité malvenue, comme chez deux âmes gémellaires qui semblaient s’être connues bien avant cette fortuite et délicieuse rencontre. Et, à vrai dire, la matriarche de l’Amour semblait avoir accordé sa bénédiction à ses deux serviteurs, saupoudrant l’ambiance de sa grâce et de cette poussière d’étoile qui rendait la séduction légère, naturelle savoureuse. Aurora n’eut pour réponse à la provocation qu’un léger rire appréciateur, qui tinta de sa douceur légère entre eux deux, donnant une langueur affriolante à sa silhouette nonchalante qui reposait sur le pouf de velours ;

- Je serais bien curieuse de constater qu’il s’agit effectivement du même…

Ils ne savaient déjà que trop bien de quoi ils parlaient, tous deux. Ils ne savaient que trop bien que le reflet de la grande Aphrodite s’était entrechoqués dans leurs regards, à la seconde ou Jayden avait passé le seuil de la porte. Mais la seconde tirade, exhalée des lèvres fines du bel Australien, ne laissait plus la place au moindre doute, si tant est qu’il y’en ait eu encore un. En avalant sa dernière gorgée de macchiato, l’infime et ultime nuage de lait, délicieusement saupoudré de sucre, vint ourler les lèvres de la jeune femme. Feignant de réfléchir à la proposition terriblement audacieuse qui lui était soumise, elle planta son regard d’ambre dans l’azur clair de celui de Jayden, passant l’air de rien et avec une lenteur exagérée le bout de sa langue sur la légère mousse de lait qui subsistait ;

- Ce serait en effet dommage. C’est un bien long périple, d’autant plus quand il est vain. Nous pourrions nous retrouver ce soir. Comme tu dois te l’imaginer, je ne suis pas seulement friande de café. Je connais un petit pub, au cœur de Londres, dans lequel ils servent des Margarita dont je raffole. La musique y est excellente, aussi.

Jayden s’était penché vers, comme happé par les effluves d’un irrésistible parfum qu’Aurora ne s’était même pas souvenu avoir insufflé. Pouvoir premier, primitif, désir inconscient de faire naître chez le trop bel homme ce sentiment qu’ils semblaient partager depuis que l’un avait posé ses yeux sur l’autre. Comme des exhalaisons d’une roseraie au printemps, le don de l’enfant d’Aphrodite se révélait dans toute sa splendeur florale, faisaient déjà tomber à ses pieds un autre de ses disciples, et non des moindres. Comme il était beau, avec sa blondeur de Lune qui retombait en ondulations souples sur un cou hâlé, et son regard d’azur dont la clarté n’étiolait pas l’audace provocatrice qu’il y distillait sans honte. Partenaire idéal d’un jeu auquel elle excellait, Aurora posa sa tasse, saisissant ce prétexte pour, elle aussi, se pencher un peu plus ;

- De plus, nous serions tout près de mon appartement…

Avec un sourire plus grand, elle attrapa un biscuit qui trônait sur une assiette. Il s’agissait de ces biscuits au beurre qu’elle grignotait lorsqu’elle rendait visite à son père, adolescente. Simples petites galettes au beurre agrémentées de pépites de chocolat, qu’elle avait offert à Kanaeko ce jour-là. Gourmandise sentimentale, qui lui rappelait son amie trop vite perdue, et un passé lointain dans lequel elle s’était promis de protéger, en vain, celle qu’elle avait perdue malgré tout.